ART ET PSYCHIATRIE. Valetudo, sur les pas de Van Gogh à St-Rémy.


J'ai toujours pris beaucoup de photos durant ces séjours pour emporter avec moi quelques carrés de paysages. 
De retour chez moi j'ai exploré Google pour y retrouver les toiles de Van Gogh peintes autour de la clinique et je me suis amusée sans couleur ni pinceau, à composer avec simplement quelques clics, un mariage de mon regard avec le sien. 

Sa présence est si constante dans ce que j'ai photographié qu'il ne m'a pas été si difficile de retrouver après coup des correspondances.

en voici quelques unes:

 




Le parc de la clinique, resté identique ainsi que sa façade, si ce n'est la couleur des volets.

 




Le bassin du parc autour duquel je m'asseyais en cercle pour bavarder avec les patientes.




Le hall d'entrée s'ouvrant sur le bassin, sa grande porte de bois, d'époque, dont les soignantes prenaient grand soin.



ce sentier aux peupliers qui m'évoque les Antiques, le site gallo romain de Glanum à quelques mètres de la clinique, porté à découvert par les premières fouilles en 1921, trente ans après son passage.


La montagne du mont Gaussier... vue d'en bas par Van Gogh, et d'en haut par moi, mes promenades autorisées étant un peu plus longues que les siennes. 

Plus haut encore, le rocher aux deux trous à travers lequel j'apercevais  St-Paul niché dans la plaine de St-Rémy et que je devais rejoindre avant l'heure du repas.

 

Quelques mois après l'épisode de l'oreille coupée à Arles, Van Gogh est arrivé à l'hospice de St-Paul le 8 mai 1889 au moment où le printemps  explose de toutes ses fleurs.  Il bénéficia  pendant un an de "l'atmosphère institutionnelle rassurante crée par le docteur Peyron et les religieuses et laïcs constituant le personnel soignant, ainsi que de leur tolérance envers les dérangements provoqués par sa volonté de peindre... enfin il ne se trouva  plus rejeté." (*)
 

On peut dire que la maison de santé de St-Paul de Mausolé à l'époque de son séjour, s'est inscrite comme  "un établissement précurseur de l'art thérapie, en mettant à sa disposition une chambre supplémentaire pour peindre et stocker son matériel, et en l'autorisant à sortir peindre à une heure de marche de l'établissement, parfois accompagné par un soignant."(*)



Van Gogh avait rêvé de créer en Provence une association de peintres :" les artistes ne trouveront pas mieux que de se mettre ensemble, de donner leurs tableaux à l'association, de partager le prix de vente de telle façon que la société garantisse du moins la possibilité d'existence et de travail de ses membres" (lettre à Théo 10 mars 1888) .

C'est pour rester fidèle à cet esprit que le docteur Jean Marc Boulon, peintre lui même, à créé au sein de sa clinique en 1995 l'association VALETUDO, nom de la déesse de la santé, dont "les deux objectifs indissociables sont le réinvestissement narcissique et la restauration du lien social" (*)

 
Une grande salle voûtée à l'intérieur du cloître est à la disposition des patientes qui peuvent y peindre avec le soutien d'une art thérapeute. L'atmosphère  si particulière, à la fois chaude et silencieuse, contrastait avec les visites légères des touristes en goguette venant visiter le cloître.
Elle  me faisait sentir à la fois si loin et si proche du monde qui continuait à tourner sans moi en attendant d'y retourner.


Stimulée par cette atmosphère, j'ai tâté un petit peu à la peinture durant mon séjour même si elle ne s'est  jamais révélée mon élément.  

Les tableaux qui ne se sont pas vendus ou n'ont pas été exposés dans la galerie  VALETUDO du centre culturel et que les patientes n'ont pas souhaité récupérer au bout d'un an, peuvent au lieu d'être détruits, être réutilisés si on le souhaite comme toile de fond pour peindre par dessus. 
 
J'ai ressenti cette proposition (qui est aussi un souci d'économie) avec émotion, comme vraiment porteuse de l'esprit d'empathie de ce lieu: superposer les traces de mon passage sur les leurs, les leurs sur les miennes, inscrire des tentatives de renaissance sur la présence évanouie d'autres inconnues en souffrance qui étaient passées par là et qui, comme Vincent, avaient senti cette atmosphère.

Je pense que dans l'art, comme dans la plus humble expression, si naïve ou si originale soit-elle, on s'inscrit toujours sur des traces qui nous ont précédés.
 

De mes tentatives picturales, que  j'ai  à peine tenté de poursuivre par la suite,  Je n'ai gardé que les traces numériques de ce drôle de christ à l'envers,  qui un jour, plus tard, a surgi de mon pinceau, comme pour faire un pied de nez à la souffrance, pas très loin de ce cloître dont Van Gogh, aussi peu religieux que moi, n'avait jamais parlé dans ses écrits à Théo.
 
Il s'intéressait davantage aux éléments de la petite vie terrestre, humaine, champêtre et fleurie des alentours.  
Comme les coquelicots dans le champ de blé vu de sa fenêtre et qu'il a peint tant de fois avec au loin le mont Gaussier. 


 
 
Aujourd'hui, de sa chambre reconstituée, au dessus du potager, les visiteurs regardent le champ de lavande qui s'y est ajouté, mais le regard de Vincent y veille et y brille encore.




C'est à la croisée des chemins au milieu de cet autre champ de blé aux corbeaux qu'il finissait de peindre à Auvers-sur-Oise que deux mois après son départ de St Rémy, il  mit fin à ses jours.

La médecine contemporaine l'en aurait sans doute empêché, elle aurait soulagé ses souffrances psychiques sans entraîner pour autant l'altération de sa créativité, car comme l'a écrit Antonin Artaud en 1947 dans Van Gogh, le suicidé de la société: " un aliéné est aussi un homme que la société n'a pas voulu entendre et qu'elle a voulu empêcher d'émettre d'insupportables vérités."  
Je ne sais pas si comme il le dit: "la folie est un coup monté qui sans la médecine n'aurait pas existé " pourtant, déjà à St-Rémy, soixante ans avant les écrits d'Artaud, il n' y a pas été traité comme un aliéné et puis, je n'y ai jamais vu de corbeaux...

Alors, moi, j'aime à croire que s'il n'avait pas quitté prématurément ce lieu d'écoute si bienveillant, son chemin dans les blés ne se serait pas arrêté aussi vite. 





(*) phrases extraites de" La vie, l'oeuvre et les maladies de Vincent Van Gogh" par le Doct. et ami JM Boulon,( à qui j'ai chipé aussi la photo du hall d'entrée.)


1 commentaire:

LE CHEMIN DES GRANDS JARDINS a dit…

Ce post m'a véritablement ému et je remercie le hasard qui m'a fait passer par là aujourd'hui.
Difficile de refaire la fin l'histoire de Van Gogh aujourd'hui. Malgré les progrès de la médecine, les suicides existent toujours.

Votre travail de sculpteur est remarquable.

Belle journée à vous.

Amicalement.

Roger